FOCUS COMMERCE du FORUM DIMO 2018
Participants
- Coaching & Thérapie – Cathy BONNARD (facilitatrice relationnelle)
- DCF LYON – Lionel DESHORS (Fondateur CCLD Recrutement)
- FIDUCIAL OFFICE SOLUTIONS – Laurent BERTRAND (Directeur Général)
- La Mutuelle Générale – Abdel BELAROUSSI (Directeur du Réseau Commercial Individuel, TPE, Entreprise et Courtage de proximité)
Le commercial est désormais au centre d’une révolution : hyperconcurrence, marché saturé, qualité comparable des offres… Comment peut-il se singulariser tout en étant créatif ? Réponse : en créant de la valeur ajoutée pour des clients bien renseignés grâce aux technologies numériques et au meilleur CRM français. Le commercial doit être capable de se muer en chef d’orchestre pour proposer des offres personnalisées, en co-création avec ses clients. L’Intelligence Émotionnelle (IE) devient indispensable. Fruit d’une expertise technique, de l’efficience à pénétrer un marché, le contrôle constructif et positif de ses émotions devient un levier de performance. C’est un enjeu économique majeur, surtout quand on sait que les entreprises recherchent 150 000 postes de commerciaux chaque année en France.
D’où viennent nos émotions ?
« Les émotions existent depuis l’homme de Néandertal et le processus de décision se joue en 4 temps » explique Cathy Bonnard :
- Face à un stimulus négatif, nous sommes en alerte. Notre corps et notre perception du monde se transforment grâce à nos cinq sens.
- Un déséquilibre est créé.
- Nous entrons en réaction face à un événement non maîtrisé et soit nous prenons la fuite ou bien nous combattons le prédateur.
- Nous faisons le mort.
L’être humain a un besoin intrinsèque d’équilibre. La fuite s’apparente à une recherche de sécurité. Le combat, c’est une quête de reconnaissance et l’identité. Quant à l’immobilité, c’est une quête de sens. Des besoins non reconnus génèrent de l’émotion : la peur et la colère s’installent, ce sont les pierres angulaires de nos émotions. Plus de prédateurs dans la nature.
Mais le monde de l’entreprise peut être vécu comme une jungle au sein de laquelle un individu qui recherche la fuite trahit son anxiété et son agitation. Le combattant veut toujours avoir raison et n’écoute pas les autres. Celui qui reste immobile est souvent découragé et recherche une protection.
Nous sommes des êtres d’émotions avant d’être des humains dotés de raison et capables de prendre des décisions. Le siège de nos émotions se trouve – comme les animaux – dans notre cerveau reptilien sur lequel nous n’avons aucun contrôle. Il nous permet de rester en vie, tout simplement.
Notre système sensoriel nous permet quant à lui de nous mettre en mouvement. Grâce à nos 5 sens, nous interagissons avec l’autre par exemple dans le cadre d’une relation commerciale. La recherche d’un équilibre nous ramène constamment à la réalité, surtout dans un contexte ou la relation commerciale à distance prend de plus en plus d’importance.
Il existe une logique émotionnelle : c’est en observant ce qui se passe en nous que nous deviendrons responsables, à la fois de nous-mêmes ET de notre relation aux autres. Ne pas être conscient de ce qui se passe en nous nous amène à faire des projections sur les autres, à vouloir voir ce dont on ne pense pas disposer nous-mêmes. Cela créé des tensions, voire des conflits. En faisant le point avec nous-mêmes, nous nous responsabilisons et nous nous mettons en phase avec notre interlocuteur.
Émotion et raison sont intimement liées
Nos pensées influencent notre santé, nos émotions et notre comportement. « Imaginons une relation commerciale compliquée, un relationnel conflictuel avec un N+1 qui annonce des objectifs démentiels. Prenons du recul, donnons-nous le droit d’émettre une opinion, de ne pas céder à la colère, de voir les choses « autrement », d’accepter la situation. Cela réduira la tension et permettra d’adopter un comportement plus serein » conseille Cathy Bonnard.
Imaginons maintenant un acheteur face à deux produits identiques : son choix sera très souvent dicté par rapport à un stimulus passé, qu’il soit positif ou négatif. Sa décision sera le résultat d’une émotion, dont Damasio a décrit tout le processus scientifique avec la notion de « marqueurs somatiques ». Pour lui, l’émotion est un garde du corps qui nous envoie une sonnette d’alarme, une invitation à nous mettre en mouvement.
Comment se servir de l’IE dans un contexte commercial ? « En commençant par être à l’aise avec nos émotions et la perception de notre monde « ici et maintenant » afin de pouvoir raconter une histoire à son interlocuteur avec nos tripes et d’être en empathie avec lui de façon « vraie » » explique Cathy Bonnard.
La démarche commerciale a changé : on ne peut plus jouer (seulement) sur le prix !
« Historiquement, la démarche commerciale consistait à aller voir les clients, leur sourire, être poli, s’enquérir avec doigté de la concurrence, les faire se questionner sur les prix et envoyer une proposition en conséquence » explique Laurent Bertrand (Fiducial Office Solutions). Or, la vente était souvent basée sur le flou artistique qui entourait le prix. Le client – désormais bien équipé – peut se renseigner et a découvert qu’il pouvait négocier. Le commercial a donc vu sa marge fondre. Il doit maintenant visiter sa clientèle chaque mois pour entretenir son relationnel – indispensable quand on sait qu’une PME a 2,7 sources de fournitures de bureau – quel que soit le volume de vente. Dans cette optique, le CRM PME permet au commercial de s’organiser.
Il est désormais indispensable d’apporter de la valeur ajoutée. Comment injecter de l’IE dans les techniques de vente ? « En formant mieux les commerciaux aux produits. Finies les séances de Powerpoint pendant deux jours ! » s’exclame Laurent Bertrand. Ils doivent par conséquent mieux conseiller leurs clients, si possible de façon personnalisée au téléphone ou de visu. L’utilisation de jeux de rôles – le commercial se mue en comptable, directeur marketing, assistante de direction… – facilite ce travail et vise à donner envie aux commerciaux en imaginant pour lui des cas concrets.
L’utilisation d’un CRM permet d’anticiper les comportements de certains clients. L’outil facilite le scoring notamment par rapport au transactionnel. Autant d’informations précieuses à relayer au commercial : quels produits ont été achetés ou pas, à quelle date ? Il s’agit aussi d’éviter les déplacements inutiles. Le porte-à-porte à l’ancienne disparaît, au profit d’un ciblage plus fin pour viser les sociétés aux plus forts potentiels afin d’optimiser la journée. « On aide les commerciaux à devenir meilleurs sur les compétences, à être plus à l’écoute des besoins et des problématiques ».
Quelle part pour l’émotion dans la vente ?
S’il n’évolue pas au sein d’une équipe au quotidien, le commercial a besoin de se sentir intégré dans une culture d’entreprise, de faire partie d’un collectif où chaque individu tient une place. « Il faut aimer le produit et transmettre cette passion au client ».
La culture de proximité est importante : « notre société de 800 personnes compte 400 commerciaux que nous réunissons une fois par an. Ils se souviennent chaque année des bons moments de la soirée du vendredi. Prendre du plaisir à se retrouver, c’est important pour les forces de vente ! Nos concurrents sont tous plus gros que nous mais notre esprit de corps fait la différence. Nos commerciaux restent plus longtemps chez nous. » explique Laurent Bertrand.
Les services clients doivent être proches des clients. Le client bénéficie d’une continuité de relation et se sent en confiance. Assistante et commercial forment une équipe dédiée.
Le chef des ventes doit lui aussi être proche de ses équipes, les appeler quotidiennement. Pas uniquement pour causer prix, mais pour s’enquérir de leur forme, savoir si elles sont dans de bonnes dispositions. C’est plus important que le site internet !
En résumé, être dans de bonnes dispositions, bien gérer leur ressenti du client permet aux commerciaux d’utiliser de bonnes techniques de vente et de bien conseiller ses clients. Lionel Deshors, prenant sa casquette de recruteur, explique qu’il fait passer un test de quotient émotionnel et un test de raisonnement afin de mesurer le potentiel de ses futurs commerciaux. « La performance est liée à l’intelligence et à la capacité à gérer ses émotions » selon lui.
L’IE doit s’inscrire dans une stratégie globale d’entreprise
Abdel Belaroussi (La Mutuelle Générale) a déployé l’IE chez un précédent employeur, un concept difficile à « vendre » auprès des dirigeants. « Ce n’est pas un « gadget », mais une stratégie de fond transcendant à la fois la sphère privée et professionnelle » explique-t-il. « C’est un véritable levier de succès à ne pas négliger. L’IE est une architecture qui s’inscrit dans un plan d’entreprise global, mais qui ne marche pas si elle est saupoudrée car le ROI sera moindre ». Il remarque trois tendances :
- L’impact du digital qui transforme la relation à l’autre,
- La quête de sens, tant pour le client que pour le collaborateur,
- La recherche de liberté et de sécurité qu’apporte un leadership fort.
La capacité à montrer – et donner – de l’émotion est justement en train de devenir synonyme d’un leadership fort. L’émotion est le lien même qui créé de la confiance dans la relation à l’autre. « Quand j’ai souhaité réactualiser nos processus de vente en intégrant de l’émotionnel dans le mode de management de ma précédente entreprise, le codir s’est un peu crispé » s’amuse-t-il rétrospectivement. « Une fois le projet mis en place, les résultats ont décollé de 40% et le modèle a été déployé à l’ensemble de l’entreprise ».
Sa société actuelle – la 3ème mutuelle santé de France – a une capacité d’analyse de la donnée très puissante. Elle met aussi en œuvre une stratégie d’IE très originale en 4 axes :
- Innovation : il ne s’agit pas de passer de la big data à la smart data – de l’information personnalisée – mais d’intégrer aussi de la « human data » via le prisme d’une compréhension des individus, d’une recherche d’utilité et de sens pour mieux les protéger.
- Le modèle relationnel client : on ne s’adresse plus seulement au cerveau du client mais aussi à son cœur, ce qui décuple la capacité de conviction.
- La gouvernance managériale se vit désormais aussi en dehors de l’entreprise, par exemple au sein de l’équipe commerciale. Il faut donc réunir les ingrédients propices à leur apporter de l’émotion, une source de transparence et donc de confiance. Pour ce faire, la parole doit se libérer.
- L’IE comme vecteur de développement : c’est une démarche complexe qui impose des responsabilités, mais les bénéfices sont palpables en termes de business.
Comment sensibiliser les collaborateurs à l’IE ?
« Présenter un plan de changement basé sur l’IE n’est pas anodin » pour Laurent Bertrand. « Cela génère spontanément de l’anxiété car les gens ont peur de se livrer. Chaque relation devient un moment de vérité, et donc un challenge qui est unique. Il est donc primordial de rassurer, d’expliquer qu’on n’est plus dans une phase de jugement ». Ne pas regarder les tableaux de bord à court terme facilite les échanges, qui seront bénéfiques sur le long terme.
Cathy Bonnard le reconnaît : « Les gens ne sont pas tous bienveillants dans les organisations, et ne laissent pas paraître leurs émotions, car ils ont peur de se « prendre une claque ». Comment gérer le manque de sincérité ? Nul besoin de vouloir changer les autres, ni de devenir un bisounours. « Tant qu’on reste authentique, on reste soi-même, on est à l’aise dans ses baskets, centré » conclue-telle.